INTERVIEW – Benjamin Laffourcade, médecin de l’Aviron Bayonnais : « Ça va être délicat mais on reste soudé »

Les Bayonnais vont savoir dans les prochains jours s’ils peuvent retrouver le chemin de l’entrainement. © MaxpppJean Daniel Chopin

L’Aviron Bayonnais a une drôle de batailler à mener. Elle ne se joue pas sur les pelouses mais sur le terrain sanitaire. C’est une lutter à gagner contre la variante britannique du coronavirus. On compte 10 contaminations dans les rangs du club basque parmi le staff et les joueurs. Par précaution et pour éviter toute propagation de cette souche virulente, l’agence régionale de santé (ARS) a fait fermer le club jusqu’au 7 janvier. Entretien avec le médecin du club, Benjamin Laffourcade.

Est-ce que vous pouvez nous donner des nouvelles des personnes contaminées?

Benjamin Laffourcade: Les nouvelles sont plutôt bonnes puisque en immense majorité ce sont des joueurs qui sont asymptomatiques, heureusement, donc on prend toutes les précautions et le protocole est très strict. Ils vont donc passer des examens cardiaques poussés pour vérifier qu’il n’y a pas de séquelles cardiaques du virus pour qu’ils puissent reprendre l’activité physique progressivement sans risque particulier. Ces examens sont prévus en début de semaine donc on espère qu’en milieu de semaine ils pourront reprendre.

Ces examens médicaux sont indispensables avant de reprendre l’entrainement ?

B.L : Oui c’est absolument indispensable parce qu’on commence à avoir du recul sur ce virus donc on a mis des précautions strictes en place et on s’est aperçu qu’on avait raison puisque il existe des séquelles cardiaques de ce virus. L’inflammation importante créée par le virus peut se fixer sur les parois cardiaques et entrainer ce que l’on appelle une fibrose cardiaque avec des troubles du rythme qui peuvent aller jusqu’à la mort subite donc évidemment pour un public dont l’activité physique à haute intensité est le quotidien il est nécessaire de faire ses examens.

« Les tests de contrôles réalisés samedi montraient zéro cas positifs et on attend ceux de demain (mardi) avec grande impatience »

Vous avez appris le week-end dernier que votre équipe avait été touchée par la souche britannique, est-ce que cela change quelque chose pour vous ?

B.L : Oui ça change quelque chose dans le sens où il est maintenant établi que si cette souche britannique n’est pas plus dangereuse, elle est en revanche beaucoup plus contagieuse et elle intéresse beaucoup de monde en plus haut lieu. On a mis en place un protocole beaucoup plus strict que le protocole habituel qui nous aurait peut-être permis de reprendre les entrainements par petits groupes, là il n’a pas été du coup question de ça. Vraiment l’urgence absolue était de circonscrire le virus le plus rapidement possible donc le club a été complètement fermé et va continuer à être fermé au moins jusqu’à mercredi prochain avec une bonne nouvelle quand même c’est que les tests de contrôles réalisés samedi montraient zéro cas positifs et on attend ceux de demain (mardi) avec grande impatience parce que s’ils reviennent tous négatifs on pourrait de nouveau ouvrir le club et redémarrer une forme d’entrainement collectif.

Au-delà du rugby, cette contamination par la variante britannique de la Covid-19 provoque des inquiétudes, c’est devenu une question de santé publique.

B.L : Absolument. Habituellement nos interlocuteurs sont la Ligue Nationale de Rugby, l’Agence Régionale de Santé mais là il y a aussi la Direction Générale de la Santé et même le conseil scientifique auprès du Gouvernement. Tout le monde s’intéresse à la question. Tout le monde nous appelle parce qu’il ne faudrait pas que ce virus muté britannique ait une porte d’entrée par chez nous et qu’il se diffuse de manière massive par le biais des joueurs de rugby donc tout le monde est concentré là-dessus.

L’inquiétude réside dans le fait que les joueurs ont passé Noël en famille…

B.L : Les semaines ont été coupées par des jours de congés obligatoires pendant lesquels les joueurs ont été en famille. Evidemment on a fait tout un contact-tracing avec l’ARS et la CPAM pour détecter les cas contacts, faire tester tout le monde. C’est ce qui se fait d’habitude, mais là ça a été encore plus amplifié et contrôlé et mis en place de manière extrêmement sérieuse. Et puis quand on a su qu’on avait potentiellement été contaminé par la souche britannique on a fait passer à tous nos joueurs des consignes drastiques de comportement : port du masque dans les familles, éloignement, renoncement aux visites aux personnes fragiles. Ils ont été très sérieux ce qui fait qu’il n’y a pas une foule de cas contacts. Il faut leur rendre hommage. Ils font beaucoup d’efforts depuis le début. On avait été très épargné par le virus parce que nos joueurs avaient très bien joué le jeu et ils ont continué à le faire ce qui permet de dire aujourd’hui que la situation semble être sous contrôle grâce à leur comportement.

« Est-ce raisonnable d’envoyer nos équipes au Royaume-Uni pour jouer des matches dans ces conditions? Je pense que non »

En tant que médecin du club, quel sentiment éprouvez-vous aujourd’hui par rapport à cette situation ?

B.L : Je me dis, ce qu’on se dit tous entre médecins du Top 14. On est très proches. On communique beaucoup ensemble. On se rend compte qu’il y a quelque chose de très paradoxal. Le protocole très strict qu’on a mis en place au niveau du Top 14 n’est absolument pas le même pour les Coupes d’Europe. Parmi les principales différences : les joueurs britanniques sont testés six jours avant le match et non pas trois jours comme nous et ils ne sont pas re-testés, en cas de doute ou de problème au milieu de la semaine contrairement là aussi à ce que l’on fait nous. Donc par exemple les joueurs de Leicester – contre qui on a joué – n’avaient été testés que le lundi précédent, ils ont eu des cas asymptomatiques qui se sont déclarés et finalement ils ne les ont détectés qu’après le match. Entre temps ils nous l’avaient transmis. Il y a aussi le fait qu’ils utilisent parfois des tests rapides qui n’ont pas la fiabilité des PCR. Tous ces éléments font qu’aujourd’hui on est déçus du protocole européen qui n’est pas à la hauteur de ce que l’on fait nous et on en paie le prix fort donc effectivement on est en colère et inquiets donc on a rédigé une lettre en commun avec tous les médecins du Top 14 pour demander a minima d’harmoniser le protocole français avec le protocole européen. On scrute aussi l’évolution de l’épidémie sur les îles britanniques qui est en train de flamber sans doute à cause de ce variant d’ailleurs. Est-ce que c’est vraiment raisonnable d’envoyer nos équipes au Royaume-Uni pour jouer des matches dans ces conditions? Moi je pense que non.

Vous pensez que l’European Professional Club Rugby (EPCR) peut finir par répondre favorablement à votre demande ? Parce que pour l’instant le patron du rugby européen reste muet.

B.L : Je pense que les choses sont assez simples. Soit ils acceptent de se mettre autour de la table et de convenir – faits à l’appui – que leur protocole est insuffisant et de s’aligner. Soit malheureusement je pense que l’on va faire jouer une clause de retrait légitime pour raisons d’inquiétudes sanitaires et les clubs français risquent de ne pas participer dans ce cadre-là à la suite de la compétition européenne. Si jamais il n’y a pas de modification malheureusement on s’oriente vers cela.

Quel va être le programme du groupe à court et long terme ? C’est une période délicate et importante qui va débuter à la reprise de l’entrainement…

B.L : Ça va être l’équivalent d’une reprise de championnat après une trêve estivale. Il va falloir qu’on réathlétise nos joueurs parce qu’ils sont habitués à s’entrainer 4 ou 5 heures par jour. Ils ont continué un petit peu dans leurs appartements, dans leurs maisons, dans leurs jardins à faire ce qu’ils pouvaient. On va les récupérer forcément diminués physiquement. Inquiets aussi dans un contexte anxiogène donc il va falloir travailler là-dessus. Il va falloir les relancer pour atteindre nos objectifs sportifs. On a déjà commencé à faire des réunions un peu de « crise » avec le staff pour essayer d’empiler les bonnes choses, les éléments positifs pour avancer dans le bon sens. C’est évident que ça va être dur, mais on est un staff soudé, notre équipe l’est aussi, on a un bon état d’esprit, on ne va pas s’arrêter à ça mais ça ne va pas être simple.

Est il nécessaire de rajouter quelque chose ?

Je ne pense pas car le toubib a tout dit et expliqué.

Le groupe est fort, il n’y a pas de crainte à avoir. Allez on est avec vous, courage pour la reprise, vos supporters vous font confiance.

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